- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 29 avril 2018

Ben là, on est pas dans l'pétrin.


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ah ça, le charme arménien ...


Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop vite

Meunier tu dors, ton moulin, ton moulin va trop fort
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort
Ton moulin, ton moulin va trop vite
Ton moulin, ton moulin va trop fort


Comptine du patrimoine francophone tirée d'une chanson de Léon Raiter et Fernand Pothier (références trouvées sur Wikipedia)



Léon Raiter, 1893, Bucarest – 5 juin 1978, Paris,
accordéoniste, parolier, compositeur et éditeur français





















PS: c'est pas de la linguistique, mais la présence d'une sensible (comme un si naturel dans une gamme en Ut) dans la mélodie trahit son jeune âge ; relisez ne confondons pas guerre intestine et gastro-entérite si vous voulez en savoir plus...





Bonjour à toutes et tous !



Aujourd'hui, nouveau thème, nouvelle racine.

























La racine qui va nous intéresser, pour les quelques semaines qui viennent, je vous la donne immédiatement

Histoire de vous laisser réfléchir à ce qu'elle a bien pu nous donner.

Je vous dirai encore qu'on ne la retrouve pas - à ma connaissance du moins - dans le groupe germanique (ou alors, par emprunt, notamment au latin et aux langues romanes, mais ça, ça ne compte pas, tralala). 

Mais que nous la retrouverons en latin et dans les langues romanes - comment ? Vous le saviez? -, en ancien grec, dans les langues balto-slaves, et aussi - soyons fous - dans les langues indo-iraniennes.

Excusez du peu.


Et donc, cette racine, la voici, la voilà, toute chaude, sortant du four: 


*peis-“moudre”.


moulin



Une idée de ce qu'elle a pu produire, mmmh ?

C'est bien ce que je pensais.



Commençons donc par son histoire latine...

Par une forme nasalisée et suffixée, créée sur son timbre zéro
- sans donc son -e -,
*peis-, se muant en *pi-n-s-, a donné l'étymon proto-italique (non-attesté)... *pins-, “moudre.

Jusque là...


Ah oui ! Et aussi l'étymon *pistlo-, “pilon, mortier”.

- Maisje ?

- Mais oui, entendez le sens d'origine, “moudre, comme un terme généraliste
Vous pouvez le comprendre aussi comme “écraser”, “piler”... 


Et qu'est-ce que cette charmante 
*peis- lui a donné, au latin, mmmh?

Tout simplement, son verbe pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...”.

meule et broyeur en pierre du Néolithique


Retenons déjà quelques dérivés latins de pīnsō...

Comme par exemple, créé sur le supin de pīnsō
- pistum -,
pistor, celui qui pile le blé (pour en faire du pain)”.

Le meunier, quoi. 



Par la suite et un léger glissement de sens, le mot désignera le boulanger.

Euh, ou plutôt la boulangère... 



Oui, on devrait plutôt parler, non pas de pistor, mais bien de son féminin pistrix, car faire le pain était le travail des femmes.


Dérivé de pistor / pistrix, pistrīnum, qui désignait en un premier temps l'endroit où le blé était broyé dans un mortier, au moyen d'un pilon, puis ... le moulin à blé, et, dans le prolongement du glissement de sens qu'avait connu pistor, la boulangerie !

boulangerie


En gallo-roman, pistrīnum prendra une nouvelle acception, dérivée et spécialisée...  
“coffre en bois dans lequel on pétrit la pâte à pain”.

Eh oui ! Nous avons repris le mot en français (pestrin, fin du XIIème), pour en faire notre ... pétrin! D'où aussi le français “pétrir”.

pétrin


Et en français de Belgique, ce vieux pistor est devenu le délicieux ... pistolet,  petit pain rond, fendu d’un léger sillon.

C'est du moins l'hypothèse qui m'apparaît la plus intéressante quant à l'étymologie de ce belgicisme. Il existe bien d'autres pistes, mais... qui ne m'inspirent pas trop, car trop tirées par les cheveux.

Mais bon, allez savoir !

pistolet



C'était quoi, encore, le supin de pīnsō ?

OUIIII: pistum !


Sur le supin - non pas de Noël
- ça doit être la 43ème fois que je fais cette blague remarquablement stupide mais tellement gentille -
mais bien de pīnsō - s'est créé son fréquentatif ... pistō, “piler”.

De lui proviendront, par exemple - et toujours au sens général de “piler” -
  • l'italien pestare
  • le vénitien pestar, ou
  • l'espagnol pistar.


Mais restons encore quelques instants en espagnol, voulez-vous ?
(Tout en vous disant que ce qui suit se rapporte également au portugais.)
Petit aparté: on désigne parfois la langue de transition entre le latin classique et le latin tardif (dit encore bas latin) par le vocable latin post-classique.
Notez qu'on aurait pu tout aussi bien l'appeler latin pré-tardif...

Eh bien, si en latin classique, le fréquentatif de pīnsō était pistō, en latin post-classique, on utilisera pīnsō. 

- Mais enfin, c'est la même forme verbale, 'tudjeu !? N'importe quoi !

- Oui, c'est une excellente remarque, mais si l'infinitif du latin classique pīnsō  était pīnsere, celui du latin post-classique pīnsō était, lui, ... pīnsāre

Nuance.


Et si je vous raconte tout ça, c'est que de ce post-classique pīnsāre, le bas latin a fait... pisāre.

En espagnol, comme en portugais, *pisāre est devenu pisar“marcher (sur)”.

C'est pourquoi, en Espagne, vous rencontrerez, devant les pelouses des parcs publics, des écriteaux “No pisar”, que tout bon francophone inculte comprendra comme, évidemment, “Ne pas pisser”.


















Ces mêmes francophones incultes en conclueront, en toute logique, que les Espagnols sont vraiment des gens mal élevés, au point qu'il faille leur préciser qu'il est interdit d'uriner sur les pelouses.

Et, derechef, ils marcheront sur la pelouse, mais - reconnaissons-le -, sans toutefois y uriner.

Et les Espagnols, voyant cela, se diront Mais quels gens mal élevés que ces francophones, qui marchent sur les pelouses, alors qu'il leur est expressément interdit de le faire....

Et voilà, c'est comme ça que naissent les conflits...

 - Le manque de culture étymologique peut nuire gravement à la santé -


Bon, on en restera là pour aujourd'hui !

La semaine prochaine, on continuera sur notre lancée, avec encore d'autres dérivés latins...


Une p'tite récap, et on se quitte, les amis ...




racine indo-européenne *peis-“moudre”.

forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
étymons proto-italiques *pins-, “moudre” et *pistlo-, “pilon, mortier”

latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...

latin pistor, “meunier, puis “boulanger”

latin pistrīnum, “moulin, puis “boulangerie”

gallo-roman au sens de “pétrin”

ancien français pestrin

français pétrin

pétrir

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racine indo-européenne *peis-“moudre”.

forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
étymons proto-italiques *pins-, “moudre” et *pistlo-, “pilon, mortier”

latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...

latin pistor, “meunier, puis “boulanger”

(selon moi)

français de Belgique pistolet, “petit pain”


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racine indo-européenne *peis-“moudre”.

forme nasalisée et suffixée sur son timbre zéro *pi-n-s-
étymons proto-italiques *pins-, “moudre” et *pistlo-, “pilon, mortier”

latin pīnsō, pīnsere, “battre, frapper, piler, broyer...

fréquentatif en latin post-classique pīnsō, pīnsāre, “piler

espagnol et portugais pisar, “marcher sur”




Je vous souhaite, à toutes et tous, un excellent dimanche, et une superbe semaine !






À dimanche prochain, 




Frédéric


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Attention,
ne vous laissez pas abuser par son nom:
on peut lire le dimanche indo-européen
CHAQUE JOUR de la semaine.
(Mais de toute façon,
avec le dimanche indo-européen,
c’est TOUS LES JOURS dimanche…).
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Et pour nous quitter,

Le tout grand Glenn Miller, 

dont le nom pourrait se traduire littéralement par Meunier...

In The Mood, 1939 




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Vous voulez être sûrs (sûrs, mais vraiment sûrs) de lire chaque article du dimanche indo-européen dès sa parution ? Hein, Hein ? Vous pouvez par exemple...
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